Thierry Montford Photographe en GuyaneThierry Montford est un talentueux photographe tombé amoureux de la Guyane. Il s'intéresse plus particulièrement à la faune et la flore de la région qu'il magnifie par l'image. Thierry répond, pour Wilipi, aux questions de Marine Perrier.

 

Questions à Thierry Montford

Vous avez découvert la Guyane en 1988, puis vous avez décidé de vous consacrer à la photographie.

Je suis venu pour la première fois en vacances en 1987, alors que je travaillais dans le secteur bancaire. A mon retour, j’ai démissionné, et je suis reparti aussi sec en Guyane, ayant pris conscience que ma vie parisienne correspondait peu à mes aspirations.

Vous avez été musicien auparavant. Comment êtes-vous "arrivé" à la photo ?

Je suis guitariste, j’ai commencé par le rock, puis ai bifurqué vers le jazz, et la soul. J’avais des copains à l’École Estienne, lorsque j’étais moi-même étudiant à l’école commerciale de la CCI de Paris. Ils m’ont initié aux joies du labo, du tirage N&B, et à la prise de vues, mais sans que ce soit une révélation fulgurante. Après ça, j’ai mis la photo de côté pour passer à la musique (qui reste la passion de ma vie, avec le Cinéma). La photo, ça s’est fait un peu par hasard. Je m’y suis remis dans les années 95 à 98, en douceur. Passionné de bestioles en tout genre, je passais beaucoup de temps sur les routes, les pistes et en forêt, où j’avais de nombreuses occasions d’observer reptiles, amphibiens, et autres animaux. On m’a suggéré de les photographier, et ça a commencé comme ça.

Est-ce la Guyane qui vous a mené à la photographie ?

Pas complètement. Je m’y étais essayé en tant qu’amateur longtemps auparavant. Mais sur le plan professionnel, c’est en Guyane que je me suis lancé, avec la faune et la flore.

En 1996, je me suis retrouvé « guide » et « collecteur » de reptiles/amphibiens pour un groupe de photographes franco-hollandais de passage avec des scientifiques de l’Université d’Utrecht, à l’occasion de la création de la Réserve Trésor, et j’ai saisi l’occasion. Je leur ai demandé de me fournir des pellicules et de m’intégrer à leur équipe, faute de quoi ils iraient chercher leurs serpents eux-mêmes. Un peu réticents au début (ils étaient tous professionnels aguerris, et hésitaient un peu à confier 100 bobines de Provia 100 à un illustre inconnu, ça se comprend), ils ont fini par accepter, et ça a été le vrai starter pour moi.

Dans votre avant-propos à  Rêve de Guyane  paru en 2006, vous expliquez continuer de travailler en argentique. Qu’est-ce qui vous plaisait dans cette pratique ? Que vous a apporté le passage au numérique ?

C’est l’inverse, en fait. L’argentique était nettement plus exigeant. On fournissait aux agences des images sous forme de diapositives. C’était soit bon, soit mauvais. Sans compter une très mauvaise gestion de la couleur dès qu’on dépassait la sensibilité de 100 ISO ! Pas de Lightroom, pas de Photoshop. Ça, c’était le travail des graphistes et de la PAO. On a beaucoup gagné en souplesse, mais on passe beaucoup plus de temps derrière l’ordi à traiter et classer les images.

Ce que j’aimais dans l’argentique était cette sensation oubliée depuis, l’attente des résultats au labo au retour d’un voyage, et la découverte des images. Bien sûr je ne me plains pas du côté immédiat du numérique, qui permet des corrections en temps réel, mais le coup d’adrénaline quand on déballait les rouleaux de films après développement, et le passage au compte-fil, c’était un sacré moment. Avec de temps à autre une baffe à la clé, mais parfois aussi un plaisir intense, quand les résultats dépassaient l’espérance !

A propos de Rêve de Guyane, c’était effectivement en 2006, et je suis désormais 100% numérique. Mon dernier boîtier argentique en activité était un Pentax Reflex 6X7, qui sortait des images fabuleuses avec de la Provia 100 ou de la Velvia. Il a hélas fini au fond d’une mare, sur la montagne de Kaw, suite à un mauvais choix sans le positionnement du trépied. En 2008, en janvier. Je n’ai pas oublié la date.

Vous photographiez toute la Guyane : les gens, les spécialités culinaires, le carnaval…, avec une prédilection pour la nature et surtout les serpents et batraciens. D'où cela vous vient-il ?

De mon enfance. Inexplicablement, j’ai été attiré très jeune par les serpents. J’ai vu traverser une vipère sur un chemin de terre en Seine et Marne, à 4 ans, et cette première rencontre a dû déclencher quelque chose. Deux ans après ça, en Italie, j’ai fichu la panique sur une plage en sortant du lac de Garde avec une grande couleuvre d’eau à la main. Après, c’est devenu une passion, et ça perdure encore. Je n’aurai pas pu, par contre, être un naturaliste dans le sens formol du terme. Je ne m’intéresse qu’à l’aspect visuel et au plaisir que ça me procure, le reste (exactitude scientifique, rigueur, et tout le toutim) m’indiffère d’une façon assez navrante, je l’avoue.

Pour les autres sujets, je m’y suis mis petit à petit, et je suis toujours dans l’attente, et même l’apprentissage. J’aime beaucoup la photo culinaire, c’est une excellente discipline, très formatrice, et le paysage, où je travaille en prenant mon temps, alors que parfois, en animalier, ça secoue un peu.

J’aimerais beaucoup travailler plus sur les portraits, ce sont les occasions qui manquent.

Dans votre ouvrage Amphibiens & Reptiles de Guyane  aux Editions Plume verte, vos clichés sont très saturés, avec souvent une dominante ocre. L’ambiance fait oublier la boue, la pluie, les épines… Ce choix artistique est-il choisi pour mettre en valeur la « matière », la texture des carapaces, des peaux, des écailles de vos sujets ?

Ce livre (si c’est bien celui auquel je pense), a été imprimé dans les années 2004/2005, et les photos sont donc toutes réalisées avec du film Fuji Provia 100, ou de la Velvia 50, qui boostaient bien les couleurs. La Fuji était très bonne pour la forêt, aussi. Le directeur de l’Agence Hoa Qui m’avait suggéré de m’y mettre, en me montrant un jour, à Paris, un comparatif entre deux planches de diapos réalisées sur un green de Golf. C’était sans appel.

En Guyane, la biodiversité est très riche, mais les occasions de rencontrer des animaux sont relativement rares, il faut un certain sens de l'abnégation, non ? Faut-il partir loin et longtemps pour ramener les images attendues ?

Au contraire, pour moi la recherche fait partie du plaisir ! Ca peut s’avérer long, parfois frustrant, mais quand ça « tombe », quel panard ! Je passe beaucoup de temps sur les routes forestières et les pistes, et sur certains layons, en sous-bois, le plus souvent seul, et ça finit par payer.

Dans d’autres contrées, je travaille différemment. Au Pantanal, ou dans les savanes du Guyana, je fais des affûts, ce qui est assez reposant je dois dire. Les zones ouvertes sont plus faciles pour l’observation.

Pourquoi cet attachement à cette terre alors qu’au Brésil ou au Costa-Rica (que vous connaissez aussi) il est peut-être plus facile de rapporter les clichés désirés ?

C’est un attachement qui est indépendant de la photographie. Je me suis installé en Guyane en 1988, et je n’ai commencé la photo qu’en 1996. Je suis arrivé ici par mes propres moyens, en quittant un boulot assez prometteur dans le secteur bancaire pour 100% d’incertitudes, parce que l’année d’avant, en 1987, j’étais venu en vacances, et que je m’étais instantanément senti en phase avec le pays. Les rencontres, l’atmosphère qui régnait, les rapports humains simples et chaleureux étaient aux antipodes de ma vie à Paris et correspondaient à mes aspirations. La forêt aussi, bien sûr, mais ce n’était qu’un élément de plus pour me décider.

La photo, c’est mon boulot, je fais comme mes copains installés en métropole. Je voyage quand c’est nécessaire. La différence avec eux, c’est que mes sujets sont aussi à l’endroit où je vis.

A la question « pourquoi cet attachement pour la Guyane », la vraie réponse est plutôt une sensation. Qui dépasse la photo.

Comment planifiez-vous vos sorties ? Partez-vous seul ?

À l’arrache. J’ai beaucoup de mal à me discipliner, et j’adore l’improvisation. J’aurais beaucoup aimé pratiquer la photo en dilettante absolu, mais le monde dans lequel nous vivons nous contraint à prendre les choses au sérieux, ne serait-ce que pour « gagner sa vie » (probablement l’une des top 10 – expressions les plus cons qui soient). J’aime ne pas organiser, prendre la route et prendre les choses comme elles viennent, réagir en fonction de ce qui m’est donné… Ca marche un peu, mais de moins en moins. Je suis désormais capable, sinon obligé, de m’organiser, de planifier une sortie, de faire des check-lists, etc. Mais ça me pèse.

Globalement, à part pour les sorties drones, je suis seul. J’ai toujours apprécié la solitude, depuis mon enfance, quand j’ai compris que je n’étais pas très bon en équipe.

Votre statut de photographe professionnel spécialiste de la Guyane vous ouvre-t-il toutes les portes ? (réserves naturelles, domaine privé du CSG… )

Non, pas vraiment. Pas en France en tout cas, ou très rarement. Dans les pays voisins, souvent. On m’a invité dans beaucoup plus d’endroits à l’étranger que sur le territoire français. Ce doit être mon accent qui plaît.

Vous êtes-vous déjà fait peur en forêt ? Racontez-nous.

Plusieurs fois ! Mais ça n’a rien de très folichon. Ca m’arrive de m’inquiéter un peu, en saison des pluies, quand il y a des coups de vent, et que j’entends des branches tomber à droite à gauche. C’est un vrai danger potentiel, la branche sur la cafetière. Autrement, franchement, à part une triste expérience sur un site d’orpaillage lors d’un braquage (une mauvaise expérience humaine, pas forestière, puisque je peux considérer que dans ce cas précis, c’est la forêt qui m’a sauvé la vie), j’ai très peu de mauvais souvenirs en forêt.

Racontez-nous un de vos plus beaux souvenirs de rencontre animalière, pourquoi pas, à vos débuts.

Les beaux souvenirs, j’en ai plein, vraiment beaucoup. Mais c’est rien à côté de ce qui m’attend, du moins je l’espère ! Le plus drôle, c’est que parfois les frayeurs en font partie. Mon premier jaguar, par exemple. C’était à Saül, en 1990, je revenais d’Eaux Claires, et je suis tombé dessus au niveau de Bœuf Mort. J’avais beau savoir que les jaguars n’attaquaient pas l’homme, il y a eu un petit flottement. J’ai eu un bref instant l’impression de ressembler à un Osso Bucco. Et puis, le jaguar, après m’avoir regardé avec une humiliante indifférence, s’est gentiment levé et s’est éclipsé du layon. Ce souvenir-là, c’est de l’or. Mais il y en a tellement d’autres, depuis. Un énorme Lachesis muta (Bushmaster) de 2,60 mètres attrapé en plein jour sur un abattis au Guyana compte parmi mes meilleurs souvenirs. C’est un serpent tellement rare !

Vous travaillez avec du matériel Canon. Quel est votre matériel photo indispensable / fétiche ?

Pour les boîtiers, ça change tellement vite maintenant qu’on n’a plus le temps de s’attacher ! Sinon, une bonne couverture focale de 14 mm à 1200 mm, c’est bien. Je travaille beaucoup au 20 mm et au 100 mm macro, mais le reste compte aussi, bien sûr. Qui peut le plus…

Quelles sont les précautions que vous prenez avant l’ultime recours au SAV ?

Touque, silicagel ou argelac changé (et non recyclé) régulièrement, nettoyage scrupuleux du bazar après le terrain, et je n’ai jamais eu l’ombre d’un souci.

Dans Rêve de Guyane, vous aviez consacré un chapitre en noir et blanc à l'orpaillage. Il y a les excavations, le lessivage des sols, le bourbier dont les chercheurs d’or sont responsables et dans lequel ils pataugent, et aussi cette photo d’un petit caïman échoué sur une barge, éventré avec une machette, et ses œufs s’échappent de ses viscères. Déforestation, destruction des rives, pollution des eaux, chasse effrénée… Comment les choses ont-elles évolué selon vous en matière d’orpaillage depuis 30 ans ?

Avec le cours de l’or, je suppose, mais je ne suis pas spécialiste. En tout cas, il ne se passe pas une journée sans que je rêve qu’il s’effondre. L’ « erreur » la plus communément répandue, c’est de prétendre que l’orpaillage est bénéfique à l’évolution en Guyane. Ce manque d’imagination est consternant et n’est guère rassurant sur l’avenir. Je connais des exploitants dans le domaine aurifère, j’en compte même parmi mes amis, mais je serais content qu’ils se mettent à la layette ou à la confiserie. Je pense bien entendu que mes suggestions resteront lettre morte.

Vous êtes sur un nouveau projet : quadricoptères et autres drones pour des prises de vue depuis le ciel. La Guyane sous une nouvelle dimension ! Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce n’est qu’un moyen supplémentaire, qui ne remplacera pas les autres. Il me permet d’enrichir ma photothèque à l’aide d’images irréalisables jusqu’ici. Je travaille avec deux amis pilotes, et nous avons passé de long mois à nous former, au niveau du pilotage, mais aussi sur le plan technique. Nous avons vite compris que notre éloignement nous imposait d’être capables de désosser un drone, pour le réparer de A à Z, au besoin. Nous nous ouvrons à une clientèle d’entreprises et d’institutionnels, mais l’activité principale reste la création d’un fonds photographique d’illustration. Nous projetons également d’évoluer vers le film.

Quels sont les avantages des drones par rapport à l’hélicoptère ou à la pirogue (sur les fleuves) ?

On travaille à basse altitude, et c’est nettement plus économique et plus discret. Par rapport à la pirogue, c’est le point de vue en hauteur et la trajectoire que l’on peut choisir qui fait la différence.

Avec le quadricoptère/octocoptère, envisagez-vous d’avoir plus facilement accès à des espèces animales farouches ou peu représentées ?

Difficile, car on est au 20 mm (24 tout au plus). Ca impliquerait une approche trop perturbante pour les animaux. Par contre, les mouvements de masse (vols de limicoles, etc), c’est possible à bonne distance. Les drones sont surtout dédiés au paysage. Les drones sont équipés pour le moment d’EOS 5D mark III, en projet un drone équipé d’un EOS 1 DC.

Au niveau animalier, quelle photo rêvez-vous encore de faire ?

Il y en a tellement ! Ca touche toutes les familles. Je me dis que tout reste à faire. Si je prends l’exemple du Bothrops atrox (grage). Je sais que je peux en trouver très facilement. J’en ai fait des dizaines de fois en photo, mais je sais aussi que je peux faire mieux.

 

Le site de Thierry Montfort

Le site des éditions "Plume verte" qui publient de nombreuses images de Thierry

Un grand merci à Marine Perrier pour cet entretien.

Quelques images de Thierry

Depuis le ciel avec le pont de Cayenne TM-7481

Depuis le ciel avec le pont de Cayenne par Thierry Monford

Mâle de coqs de roche paradant TM-7560

Mâle de coq de roche paradant par Thierry Monford

Grage se rafraîchissant dans une flaque TM-30380

Grage se rafraîchissant dans une flaque par Thierry Monford TM-30380

Le sourire de l’aï TM-0409

Le sourire de l’aï par Thierry Monford - TM-0409

Leptophis ahaetulla gueule grande ouverte TM-0403

Leptophis ahaetulla gueule grande ouverte par Thierry Monford - TM-0403

La forêt dans les brumes matinales – K06B0639

La forêt dans les brumes matinales par Thierry Monford – K06B0639

Saut Athanase sur le fleuve Approuague TM-2832

Saut Athanase sur le fleuve Approuague par Thierry Monford - TM-2832

Tortue luth TM-3676

Tortue luth par Thierry Monford - TM-3676

Drone TM 7379

Drone par Thierry Monford - TM 7379

Un jacquot (Bothriopsis bilineata) semble tenir le photographe en respect TM 2544

Un jacquot (Bothriopsis bilineata) semble tenir le photographe en respect par Thierry Monford -  TM 2544

Phylloméduse de Vaillant, un petit air snob TM 3146

Phylloméduse de Vaillant, un petit air snob par Thierry Monford - TM 3146

L’île du Diable TM 3336

L’île du Diable par Thierry Monford - TM 3336

Grenouilles cornues (Ceratophrys cornuta)

Grenouilles cornues (Ceratophrys cornuta) par Thierry Monford

Ambiance en forêt ripicole TM-3366

Ambiance en forêt ripicole par Thierry Monford - TM-3366

Micrurus surinamensis (le plus gros serpent corail de Guyane) en posture défensive TM-7372

Micrurus surinamensis (le plus gros serpent corail de Guyane) en posture défensive par Thierry Monford - TM-7372

Theraphosa leblondii, la mygale géante en balade TM-2479

Theraphosa leblondii, la mygale géante en balade par Thierry Monford -  TM-2479

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